Justice

CPI : timide espoir pour les Ouïghours et les Rohingyas

La Chine et la Birmanie n’ont pas ratifié le statut de Rome établissant la Cour pénale internationale. Toutefois, les crimes commis contre ces minorités peuvent être poursuivis si une partie des faits concerne des pays signataires.

publié le 3 août 2020 à 20h31
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Des crimes d’une extrême gravité et à très grande échelle. Si les exactions à l’encontre des Syriens commencent enfin à faire l’objet d’enquêtes et de condamnations, celles commises contre des Ouïghours en Chine et des Rohingyas en Birmanie ne sont pas encore arrivées à ce stade. Le calendrier judiciaire est rarement en phase avec le temps médiatique, mais il n’empêche que depuis quelques mois, la justice marque des points dans la poursuite des auteurs de crimes récents contre l’humanité, voire de génocide.

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Camps

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Le 6 juillet, un groupe d'avocats du cabinet Temple Garden Chambers a déposé auprès du bureau de la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) un dossier de 80 pages enjoignant Fatou Bensouda d'ouvrir une enquête sur des crimes perpétrés par le régime de Xi Jinping contre les Ouïghours et d'autres minorités musulmanes du Xinjiang, notamment dans des camps de concentration, rebaptisés «centres de formation professionnelle» dans la novlangue de Pékin. Cette plainte est la première du genre à mettre en cause cette répression de Pékin. Elle vise une trentaine de responsables chinois, à commencer par Xi Jinping.

«Nous sommes en possession d'éléments de preuves accablants et très sérieux pouvant étayer des accusations de crimes contre l'humanité et de génocide à l'encontre de responsables chinois», assure Anne Coulon, avocate au barreau de New York. Le cabinet Temple Garden Chambers avait été contacté par le gouvernement en exil du Turkestan oriental (l'autre nom du Xinjiang) et le Mouvement national d'éveil du Turkestan oriental. Meurtres, déportations, tortures, stérilisations et mariages forcés, disparitions, séparations de familles, etc. Le groupe d'avocats a dressé une liste de faits détaillés sur la base d'enquêtes d'ONG et de journalistes, d'entretiens avec des réfugiés et d'exilés, d'expertises. «La gravité des actes allégués est telle que la procureure devrait ouvrir une enquête», poursuit Anne Coulon.

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Certes, la Chine n'est pas signataire du Statut de Rome établissant la CPI. Mais dès lors qu'une partie des faits criminels a lieu sur le territoire d'un Etat partie, la cour a compétence pour connaître l'ensemble des crimes selon l'article 12 du Statut. En l'occurrence, «il y a des cas de déportation forcée d'Ouïghours de Chine vers le Cambodge et le Tadjikistan [qui, eux, reconnaissent la CPI, ndlr], conséquence directe des violations systématiques commises sur le territoire chinois. On a aussi des rapatriements forcés de ces pays vers la Chine», précise Anne Coulon. «Une fois revenues, les victimes ouighoures ont été soumises à des crimes en violation des lois internationales», complète le gouvernement en exil du Turkestan oriental dans un communiqué.

Techniquement, rien n'empêche donc la procureure d'ouvrir une enquête. Déjà, l'année dernière, sur cette même base juridique de la localisation des crimes, Fatou Bensouda s'était saisie du dossier des musulmans rohingyas en Birmanie. En 2016, et sur une bien plus vaste échelle à partir d'août 2017, cette «minorité la plus persécutée au monde», selon l'aveu du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a été victime d'un nettoyage ethnique et d'exactions de masse potentiellement assimilables à un génocide selon les mots de chefs d'Etats, d'ONG et des Nations unies. Au moins 24 000 personnes ont été tuées, 750 000 autres ont dû fuir vers le Bangladesh voisin. Le 14 novembre 2019, Fatou Bensouda obtenait des juges de la CPI l'ouverture d'une enquête pour «crimes contre l'humanité contre le peuple rohingya de Birmanie». Et précisait les cas de «déportation, d'autres actes inhumains et des actes de persécution commis en partie sur le territoire birman et en partie sur le territoire du Bangladesh», Etat signataire du Statut de Rome, à la différence de la Birmanie.

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La route s’ouvre donc pour une enquête. Mais elle est semée d’embûches. En plus d’un manque de moyens et de résultats, la CPI, qui a démarré ses activités en 2002, a encore l’image d’un tribunal tâtonnant et africano-centré. Surtout, qu’adviendra-t-il des procédures en cours alors que l’actuelle procureure doit quitter ses fonctions en juin et que la CPI peine à lui trouver un ou une successeur(e) ?

Menace

Mais d’autres initiatives sont lancées. Dans le cas des Rohingyas, les soutiens à cette communauté se félicitent d’une récente décision de la justice argentine. Au nom de la compétence universelle - qui permet à un Etat de poursuivre les auteurs de crimes même en l’absence de tout lien de rattachement avec l’Etat en question - la Chambre criminelle fédérale argentine a annulé, le 2 juin, la précédente décision d’une cour argentine de ne pas poursuivre le chef de l’armée birmane, Min Aung Hlaing, et la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi pour génocide. Le groupe d’associations rohingyas et argentines conseillées par Tomas Ojea Quintana, l’ex-rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme en Birmanie, a obtenu au contraire le droit de continuer les démarches entamées en novembre et de se rapprocher de la CPI.

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Les révélations sur le sort des Ouïghours ont enfin permis une prise de conscience sur la menace croissante du régime chinois et de sa gouvernance opaque, répressive et autoritaire. Des Etats appellent à une enquête indépendante sur les camps du Xinjiang. L'Alliance interparlementaire sur la Chine, qui réunit plus de 150 élus d'une vingtaine de pays, s'est alarmée des dernières révélations sur les stérilisations forcées (Libération du 21 juillet), évoque un «processus génocidaire» et dit réfléchir à une «procédure internationale». Qui risque de prendre beaucoup de temps.